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Le mouton rebelle
2 mars 2011

Arghhhhh, je suis en plein dedans et je connais des spécimens assez inquiétants dans le coin

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Luc Moullet, le plus drôle des représentants de la Nouvelle Vague fait honneur à sa réputation, avec un documentaire visant à cartographier la folie dans les Alpes du Sud. Pince-sans rire, loufoque, unique. « L'arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d'avoir déplacé sa chèvre de deux mètres. » C'est le point de départ du dernier film de Luc Moullet, autobiographique et documentaire. Comme d'habitude chez l'éternel « jeune loup du cinéma français » - 72 ans au compteur - la réalité devient un terrain de jeu propice à ses petites observations loufoques, parsemées de grandes inspirations poétiques.

Face-caméra, d'un ton impassible, le cinéaste barbu explique son projet : aller voir dans les Alpes du Sud pourquoi les gens s'étripent entre là-bas plutôt qu'ailleurs, et souvent sans raison. En bon pédagogue, il dessine un « pentagone » sur une carte, délimité par cinq villes à forte concentration de faits divers sanglants, puis va interviewer sur place des témoins. Les témoignages, tous plus sordides les uns que les autres, s'enchaînent, liés par la voix monocorde et trainante de Moullet, illustrés par de beaux paysages de montagnes. Et c'est hilarant.

Jamais moqueur, Luc Moullet s'approprie une forme journalistique classique (les témoignages en plans de 2/3 face, comme au JT), pour la détourner savoureusement, et l'assaisonner à sa sauce unique, faite de bouts de ficelles et de décalage permanent. Le regard du cinéaste est celui d'un curieux, d'un grand enfant à la fois naïf et pince-sans-rire. Quand il scrute une majestueuse montagne paisible et silencieuse, en plan d'ensemble, il n'oublie pas d'évoquer en voix-off la facilité d'y commettre un meurtre sans être vu.

Mais pourquoi les Alpes du Sud sont-elles le terreau d'autant de crimes irrationnels ? Le climat est-il trop venteux ? Le relief trop obsédant ? Est-ce la solitude qui fait péter les plombs ? Ou bien la proximité d'une ville, Manosque, véritable repère de truands ? Des réponses sont amorcées. Des pistes et idée saugrenues (« ceux là ne sont pas dangereux, ils ne tuent que des membres de leur famille ») lancées à la pelle. Mais au fond, Moullet l'empirique s'en fiche un peu, des réponses. Comme il le dit lui-même, il n'est pas King Vidor.

Ce qui l'intéresse, lui, c'est de revenir chez lui, dans sa région des Alpes basses, et de filmer les gens. Leur débit de parole. Leur façon de raconter une histoire terrible comme s'ils parlaient du beau temps. La nature. L'absurdité de tout ça. Et, au milieu, Luc Moullet, dont se dessine ici un irrésistible autoportrait, parcellaire et surréaliste, en forme de point d'interrogation.

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